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Quatrième et dernier des quatre carnets de marches conçus par Olivier Bleys, « les 4 saisons des boulevards - l'automne » est une commande de Bordeaux Métropole effectuée dans le cadre de la concertation sur les boulevards de la rive gauche de la métropole bordelaise.
De quelle couleur est l’automne, à Bordeaux ? Dans cette ville à la végétation plutôt chiche, aux parcs et aux jardins souvent secrets, voit-on s’embraser les feuillages ?
Pas beaucoup. Certes, les arbres se colorent et se dépouillent, comme le leur prescrit la nature. Certes, des monceaux de feuilles brunes, fauves, miel ou ocre jaune s’élèvent au pied des troncs. Mais on les voit peu. Je n’ai aucun souvenir, ici, d’avoir brassé à pleines jambes ces tas de feuilles sèches où passaient exprès, pour faire du bruit, les écoliers de mon enfance. À croire qu’aux premiers frimas, une troupe de jardiniers diligents s’empresse de ratisser toutes les feuilles, par crainte du désordre.
Enfin, on compte quelques frênes communs (fraxinus excelsior) dont l’un, sans doute, doit craindre pour sa vie : c’est l’arbre planté en 1976 à proximité de la Garonne, à l’exact croisement du boulevard Jean-Jacques Bosc et du boulevard des frères Moga, au débouché du pont Simone Veil en construction. Il apparaît, cerclé en orange, sur la carte OpenStreetMap ci-dessous :
Ce frêne est-il encore debout ? Je ne le vois pas sur les photos de cette zone parmi les plus remuantes de la métropole, un grand chantier à ciel ouvert qui accouchera dans quelques années du quartier Euratlantique.
Là où je me trouve, à l’extrémité sud des boulevards — qui est aussi leur pointe est —, la ville connaît une mue accélérée. Mes repères familiers, telles cette concession automobile qui faisait l’angle de l’avenue ou la mascotte vert pomme de ce loueur d’échelles, semblent en sursis.
En photographiant le quartier, j’ai l’impression d’enregistrer l’image d’un monde révolu. Tandis que des avis de démolition tapissent les vieux immeubles du quai de Brienne, d’autres, flambant neufs, sortent de la terre collante mêlée de gravats. La Méca, Maison de l'économie créative et de la culture, rappelle la lettre « M » d’un alphabet géant, quand une autre construction inaugurée la même année, la tour Innova, met elle les points sur les « I ».
Ce sont ces mêmes lettres que reprend l’enseigne tapageuse du MIN, le Marché d’Intérêt National, même si les couleurs, elles, évoquent plutôt le célèbre bouillon cube.
Ce marché, c’est bien le dernier vestige des quais industrieux de la Garonne. Car tout autour sévit une véritable contagion de modernité : immeubles, trottoirs, réverbères, voies de circulation, hôtels et commerces font peau neuve, presque à vue d’œil.
Le climat sonore évolue aussi. Dans le nouveau quartier Armagnac, mon micro se tend vers des bruits très contemporains, vraies signatures auditives des années 2000 : un bus à soufflet qui passe ; une boîte à livres ; des bouteilles jetées dans une borne de collecte de verre.
Le brimbalement d’un train annonce l’approche de la gare, bien avant que s’en découvre l’immense verrière. Alors se superposent — mais il faut tendre l’oreille — la rumeur des départs et des arrivées de convois avec celle, distante, des chantiers de construction.
Parmi les chantiers de la gare, l’un des plus actifs côtoie une brocante bien connue des amateurs de vintage : l’entrepôt Saint-Germain. On y chine de vieux meubles, des malles de voyage, des radios en acajou, des enseignes au néon et un tout un bric-à-brac habilement mis en scène, tel un décor de cinéma.
J’y passe un moment, flânant dans la collection de vaisselle émaillée.
Quand je ressors de la boutique, il me semble avoir changé d’époque. En m’éloignant des chantiers futuristes, je parcours des rues qui fleurent bon le Bordeaux d’autrefois et dont les murs affichent encore, tantôt presque effacés, tantôt encore lisibles, des lettrages publicitaires du siècle dernier.
Sur le boulevard Albert Ier, juste avant qu’il ne franchisse les voies ferrées, un bâtiment au toit en gradins accroche l’œil. C’est une ancienne manufacture de chaussures, devenue centre de recherche chorégraphique national. Un nouveau nom, la manufacture Atlantique, et une nouvelle vocation qu’illustre le bleu profond de sa façade. De quel bleu s’agit-il, d’ailleurs ? Bleu outremer, bleu Klein, bleu Majorelle ? Une couleur resplendissante, en tout cas, même par temps gris. On voudrait que d’autres bâtisses, sur les boulevards, risquent une palette aussi hardie.
De la même époque date la piscine municipale de Bègles, à quelques rues d’ici. Ce bâtiment des années 1930, restauré soixante-dix ans plus tard sans perdre sa vocation balnéaire, cache bien sa structure en béton armé. Du dehors, ce sont ses ornements et ses mosaïques polychromes, dignes d’un palais babylonien, qui captent l’attention.
Tout près de là, à un jet de javelot, on dispute une partie de tennis sur les courts du stade André Moga. Il souffle un petit vent qui gêne la prise de son. Je voudrais bien enregistrer l’impact souple des balles sur la raquette, mais il y a cette brise, donc, et des oiseaux qui font du tapage dans un arbre voisin.
Un projet urbain des boulevards doit prendre en compte l’aspect sonore. En attendant que l’intégralité du parc automobile se convertisse à la propulsion électrique, donc au silence, nous n’avons pas le choix : nous devons nous accommoder des moteurs thermiques et des 70 décibels que leur regroupement sur les axes passants inflige à nos oreilles, aux heures de pointe.
Mon micro reste allumé tandis que j’explore ce quartier hybride, à cheval sur Bordeaux et sur Bègles, en quête d’une rue calme.
Parfois, je coince l’enregistreur sous mon aisselle pour prendre une photo. Quand on les regarde d’assez près, ces maisons de banlieue réservent bien des surprises. Au fil des travaux et des changements de propriétaires, certaines échoppes ont perdu une fenêtre, une porte, gagné un étage ou troqué un garage contre un mur de parpaings. Le détail fait la saveur de ces aménagements divers qui ne sont pas toujours, hélas, des embellissements.
Je m’arrête devant une maison dont dépassent des mâts miniatures, tendus d’authentiques voiles de bateau. Qu’y a-t-il derrière ces murs qui me les cachent ? Quelque scène maritime, un pastiche d’île au trésor ou de bataille navale ?
Certaines rues manquent d’inspiration, et peut-être d’âme. Mais d’autres, avec leurs commerces exotiques ou leurs chats hautains, affichent au contraire beaucoup de personnalité.
Le GPS enregistre mes pas dans la ville. Il est rare, en revanche, que je consulte le plan ou lève les yeux vers une plaque de rue. C’est bon signe, si je le fais : cela témoigne que la rue de la Fraternité à Talence, que le discret passage Fontan à Bordeaux ont du relief dans le souvenir de ma promenade.
Je n’avais noté nulle part qu’un marché se tenait, ce jour-là, sur cette place dont j’ai perdu le nom. Encore un cadeau du hasard, et une aubaine pour mon objectif que l’étalage bigarré des légumes de saison.
Pendant que je capture quelques images avec mon appareil photo, un jeune homme assis sur un pliant fait de même, avec des crayons de couleurs. La conversation s’engage. Raphaël poursuit des études d’art et, puisque les musées sont fermés, il descend dans la rue dessiner « sur le motif ». La maison de ses parents se trouve tout près des boulevards.
L’idée me vient d’un petit reportage. Je suis curieux de savoir comment ce grand adolescent vit dans son quartier qui jouxte, en effet, le chantier géant de la gare.
Quand le tournage s’achève, le jour finit aussi. Mes dernières photos attestent le rapide déclin du soleil, et le glissement vers le rouge des rayons qui filent au ras du sol.
L’éclairage public n’est pas encore allumé. Alors, entre chien et loup, le feu du soleil paraît s’abriter dans les fenêtres et les portes vitrées des maisons.
À moins qu’il n’ait trouvé refuge dans ce feuillage, photographié l’après-midi, d’un arbre embrasé par l’automne ? Je médite cette pensée en hâtant le pas dans les rues sombres.
Lien utile
Le compte instagram de l’artiste Raphaël Fernandez.
En savoir plus sur la concertation :
participation.bordeaux-metropole.fr/les-boulevards-exprimez-vous