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L’État et Bordeaux Métropole lancent concomitamment deux appels à…
Troisième des quatre carnets de marches conçus par Olivier Bleys, « les 4 saisons des boulevards - L'été » est une commande de Bordeaux Métropole effectuée dans le cadre de la concertation sur les boulevards de la rive gauche de la métropole bordelaise.
Au départ de cette nouvelle promenade, j’ai accroché mon vélo près du parc-relais « Ravezies — Le Bouscat », un bâtiment dont les parois légères, ouvertes exprès à tous les vents, jouent de la confusion du végétal et du minéral. J’ignore ce qu’il en est à la morte saison mais aujourd’hui, au cœur brûlant de l’été, un lierre monumental (ou telle autre plante grimpante) dévore la rampe d’accès. Cette cascade de verdure donne au bâtiment, âgé de douze ans seulement, des allures de château-fort mangé par la végétation.
Devant le parc-relais s’allonge un grand boulevard où cheminent peu de piétons sur les allées sableuses, mais où roulent, à pleine vitesse, les vélos des livreurs et des étudiants. On a laissé l’herbe venir entre la route et la piste cyclable, l’herbe qui s’invite aussi au pied des clôtures.
Des fleurs ont éclos un peu partout. Il est facile d’oublier qu’on marche dans l’agglomération, et de croire qu’on se promène en pleine nature.
Même chose, dans les rues adjacentes. Si les jardiniers municipaux s’abstiennent un mois seulement de tailler les plantes, c’est l’invasion... Des haies gourmandes débordent sur les trottoirs ; des graminées conquérantes — les mêmes qui colonisent les friches et les terrains vagues — s’arrogent la moindre pincée de terre.
À ces fleurs de rue, libres et sauvages, s’opposent les fleurs en pot qui garnissent les rebords de fenêtre.
Entre les deux se placent les beaux jardins du quartier Ravezies, tantôt vestiges d’anciennes maisons de campagne rattrapées par la ville, tantôt compositions modernes et paysagées.
Moi qui voyage souvent à pied dans la métropole, j’avoue que c’est là, par la rue Jean Hameau et le lycée Saint-Louis, que passe la limite nord de mes déambulations.
Mais cette fois, je ne ferai pas demi-tour. Je ne reculerai pas devant ce centre de traitement des eaux usées qui me semblait sans intérêt, avant que j’y rencontre, égaillés sur la pelouse… des moutons en train de paître.
Cette scène bucolique, sur le périmètre d’une station d’épuration, est une agréable surprise. À choisir, je préfère l’odeur du crottin de brebis à celle des égouts. Voilà une idée à cueillir, pour le futur aménagement des boulevards : y développer l’éco-pâturage ; lâcher partout des troupeaux de moutons qui entretiendront — et fertiliseront — les pelouses pour pas cher. Tout le monde y trouvera son compte : les bêtes, leur berger, les propriétaires fonciers et même les badauds, à qui ce spectacle insolite donnera un but de promenade.
Je m’éloigne pourtant, afin de respecter l’injonction poétique du panneau d’information : « Laissez-les donc vivre leur vie de moutons. » J’ai changé de cap, nord-est, vers les bassins à flots. Deux cents mètres m’en séparent encore, et déjà me parviennent des bruits de martelage ou de vissage, renvoyés par les façades grises des immeubles en construction.
Plus près, le volume sonore augmente et devient presque assourdissant. On dirait qu’elle le fait exprès pour me tirer les nerfs, cette pelle mécanique dont le sabot racle le sol de long en large, dans un but qui m’échappe.
Je coiffe des écouteurs pour fuir ce vacarme. Voici quelques jours, j’ai rencontré le luthier Richard Caro, un maître-artisan qui fabrique et restaure des guitares, ainsi que d’autres instruments à cordes.
Notre conversation m’a dévoilé des aspects méconnus de son activité. J’ignorais, par exemple, qu’un luthier pouvait suivre pendant des décennies les instruments de sa conception.
Son atelier se trouve à proximité des boulevards, dans un autre quartier de Bordeaux. Cette situation est-elle un atout ou un inconvénient ? Richard Caro m’a donné son opinion.
À la fin de notre entretien, le luthier m’a gratifié d’un petit récital, sur l’une de ses guitares favorites. J’écoute sa prestation au casque, au milieu des engins de travaux publics qui vont et viennent sur les pavés des quais.
Les bassins à flot hébergent l’un des plus gros chantiers de la métropole. Il a commencé voici quelques années sur les berges de la Garonne, et se déploie aujourd’hui vers les boulevards.
Ce qu’on bâtit là — une école, une crèche, des équipements sportifs… — est pour l’heure à l’état de murs nus, de charpentes en poutrelles d’acier qu’escaladent les ouvriers encordés.
À quelques pas de là, c’est un autre genre d’ascension que pratiquent les marins du dimanche. J’en vois plusieurs perchés dans la mâture de leurs voiliers, en train les uns de graisser des poulies, les autres de trier des cordages.
Voués naguère à la narine marchande, aux manœuvres des navires chargés de laine ou de charbon — mais aussi au stationnement des gros paquebots transatlantiques, les bassins à flot accueillent désormais un port de plaisance, ou plutôt deux. Le long des pontons flambant neufs s’alignent des monocoques à voiles, et quelques péniches aux couleurs pimpantes.
Plusieurs sont en cale sèche. Dans les entrepôts voisins, une poignée d’entreprises perpétuent la tradition locale de réparation et d’entretien des bateaux.
Parmi ces embarcations qu’on ponce et qu’on repeint, qu’on calfate et qu’on carène, certaines sont habitées. Elles voisinent avec les camping-cars, venus parfois de très loin pour goûter à l’ambiance des bassins, et jouir d’un point de vue unique sur le patrimoine maritime de Bordeaux.
La présence en nombre des bateaux de plaisance ferait presque oublier le passé industriel des lieux. De même, la carcasse rouillée des hangars, les silos de stockage de l’usine Lesieur contiguë se sont fondus aux constructions modernes ou ont été détruits. Mais les écluses, les formes de radoub, le pont tournant sont toujours là, de même que les robustes bittes d’amarrage, indéboulonnables, telles des enclumes scellées dans le pavage des quais.
Il suffit de se pencher pour repérer, filant dans l’herbe, des tronçons de voie ferrée qui servaient naguère au convoyage des marchandises, depuis les entrepôts jusqu’aux cales des navires. Ces rails tachés de rouille font partie du décor. Je me demande s’ils ne pourraient pas reprendre du service : un petit train pourrait les suivre, pour promener les touristes autour des bassins.
Certains de ces vestiges ont un statut particulier. Il s’agit de deux grues, érigées après-guerre grâce à l’aide américaine. Classées monuments historiques et bientôt restaurées, ces machines de levage sont pour les Bordelais des silhouettes familières.
Tout aussi emblématique, malgré le frisson qu’inspire à certains son architecture carcérale, est la base sous-marine, fondée à l’angle du deuxième bassin. Son nom reflète un passé douloureux, celui d’un bâtiment construit pendant la Seconde Guerre mondiale pour abriter les U-Boots de l’armée allemande.
Tout d’un bloc, cet édifice en béton brut s’est longtemps cherché un destin, une nouvelle affectation qui fasse oublier sa vocation militaire. La démolition étant trop coûteuse, on pensa le convertir en restaurant, avec vue panoramique sur la Garonne. Projet abandonné. C’est devenu un lieu d’exposition et d’animation culturelle et, depuis peu, un centre d’art numérique.
En contournant la base sous-marine, j’ai rejoint les boulevards. Mon micro qui a enregistré les visiteurs du centre d’art, s’intéresse maintenant à tout autre chose : une station de lavage automobile, sur le trottoir d’en face. Il fait très chaud et je m’attarde sous les jets d’eau qui arrosent les voitures.
Ici commence un quartier dont je ne connais rien. J’y rencontre une école du cirque, un centre de formation des sauveteurs en mer et même une distillerie de whisky, Moon Harbour, à l’abri d’un bunker qui semble le modèle en réduction de la base sous-marine.
Plus loin, le boulevard Alfred Daney forme un coude vers la Garonne, comme s’il subissait l’attraction du fleuve. Il prend alors le nom d’Albert Brandenburg, ancien maire de Bordeaux dont le patronyme ne m’évoquait jusque-là qu’un terminus de ligne d’autobus.
Ce que je découvre au bout, tout au nord des boulevards, est l’un des secrets les mieux gardés de la métropole. Dans l’ombre d’immeubles joliment peints aux couleurs du ciel, en vue aussi du pont d’Aquitaine qui se rapproche, voici le parc des berges de la Garonne.
Une vraie petite forêt s’y déploie, peuplée d’arbres aimant l’humidité comme l’aulne ou le saule. On y cueille aussi, paraît-il — ou plutôt non, on n’y cueille pas, c’est bien sûr défendu — une centaine de pieds d’angélique des estuaires, gracieuse ombellifère de la famille des carottes qui ne pousse qu’en France, sur des berges soumises aux marées atlantiques.
Sous les feuillages, des riverains disputent une partie de pétanque.
Je les observe un moment, puis flâne le long de l’eau. Le tram est mon fil d’Ariane. La ligne B épouse les inflexions du fleuve, bien que les quais soient invisibles aux passagers.
À Bacalan, vieux quartier de manufactures, la Garonne s’efface derrière d’imposants bâtiments en brique ou en pierre nervurés de métal.
La plupart abritent aujourd’hui des bureaux, à l’exception de l’ancien magasin des vivres de la marine qu’une association, les Vivres de l’Art, a converti en atelier et en musée de plein air. Les œuvres métalliques du plasticien Jean-François Buisson, fondateur du lieu, donnent le ton.
J’ai rejoint l’autre extrémité des bassins, côté Garonne. À marée basse, un banc de vase se découvre au regard du promeneur. On s’y enfoncerait jusqu’aux cuisses, dans ce limon qui miroite et scintille au soleil. De part et d’autre se dressent des rangées de pilotis, appelées estacades, sur lesquelles semblent s’appuyer les berges. Je me demande ce qu’il adviendrait, si l’on retirait quelques-uns de ces pieux centenaires. Est-ce que la Cité du Vin voisine s’abîmerait dans les flots ? Est-ce que le quai des Chartrons deviendrait submersible ?
Juste avant la nuit, survient un gros orage. Ça ne dure pas. Une heure plus tard, le ciel éclairci reçoit les premières étoiles. Au pied du pont dont s’allument les piles (un joli bleu piscine), j’arrête mon podomètre : treize kilomètres au compteur.
Lien utile
Le site du luthier Richard Caro : carorichardfrancois.site-solocal.com
En savoir plus sur la concertation :
participation.bordeaux-metropole.fr/les-boulevards-exprimez-vous