Candidatez aux appels à projets : Contrat de ville et Contrat local des…
L’État et Bordeaux Métropole lancent concomitamment deux appels à…
Deuxième des quatre carnets de marches conçus par Olivier Bleys, « les 4 saisons des boulevards - Le printemps - La terre » est une commande de Bordeaux Métropole effectuée dans le cadre de la concertation sur les boulevards de la rive gauche de la métropole bordelaise.
« Un carnet de marche, c’est un recueil d’impressions libres sur des hommes et des paysages, par tous les moyens dont dispose le voyageur moderne : l’écriture, mais aussi l’image et le son ; le stylo, mais aussi le micro et l’appareil photo. Promenade attentive et déambulation studieuse, le carnet de marche ne prétend pas livrer l’identité d’un territoire, mais raconter l’instant de sa rencontre — instant précieux, comme sont toujours les premières fois.
Sur les boulevards de la métropole de Bordeaux, le carnettiste ne décrit seulement le présent : il sonde aussi l’avenir. Sa mission est d’observer d’abord, d’imaginer ensuite — tous les sens en éveil. »
O. Bleys
Section : > boulevards Pierre Ier et Godard > de la barrière Saint-Médard à Ravezies
Les Français ont été confinés deux mois au début du printemps. Pendant ces cinq semaines de trajets surveillés, de marches à vive allure dans un faible rayon — ce kilomètre autour de chez moi qui m’était déjà familier, et que je connais désormais comme ma poche —, je me suis souvent demandé, penché à ma fenêtre, quel pouvait être l’aspect des boulevards sans personne.
Cette grande ceinture urbaine voit passer beaucoup de voitures. À quoi peut-elle ressembler, une fois soustraite intégralement la circulation automobile ? Qu’en est-il aussi des parcs vidés de leurs promeneurs, dont on a cadenassé les grilles ?
Le 11 mai, la liberté d’aller et de venir fut rendue aux Bordelais. Ce jour-là a été pour moi comme la brusque ouverture des volets dans une pièce sombre. Un léger vertige accompagnait mes premiers pas sur le trottoir, et c’est même un petit frisson que j’ai senti en dépassant les grilles du stade Chaban-Delmas : pendant des semaines, cette robuste clôture métallique avait tracé une frontière infranchissable, l’horizon ultime de mes promenades à pied. Enfin, je pouvais marcher au-delà...
Par chance, la météo était splendide. Le soleil tombait d’aplomb sur les façades de pierre, en procurant lumière et chaleur aux végétaux urbains.
Une belle idée que ces plantes de rue, poussant à même le trottoir dans une fosse creusée par les services de voirie. Des passiflores, des clématites, du chèvrefeuille et du jasmin étoilé peuvent croître ainsi, en pleine ville, et démentir la réputation naguère méritée d’une « cité de pierre » qui réduirait les espaces verts à la portion congrue.
Si, pendant des siècles, Bordeaux n’a vu éclore sur ses façades que d’incolores fleurs de calcaire, elles ont pris vie depuis.
En suivant la bien nommée rue du Bocage, j’atteins la première halte de ce carnet de marche printanier : le Parc bordelais.
Mon projet de butiner certains des plus beaux jardins de l’agglomération commence ici, dans un quartier cossu où arbres et bâtiments vivent en harmonie — et pour cause : ils sont sortis de terre ensemble, à la fin du XIXe siècle.
Nous ne sommes qu’à un jet de pierre des boulevards, pourtant tout est changé. Les denses haies végétales autour du Parc filtrent efficacement bruit et pollution.
C’est mieux qu’une parenthèse verte dans la phrase urbaine : c’est un morceau de campagne. Impression confortée par l’aménagement « à l’anglaise » du parc, qui laisse la nature s’exprimer.
Ici, les promeneurs ont leurs habitudes, et souvent leurs circuits. Mon préféré relie un manège, un Guignol séculaire, une pelouse au ras de l’eau et des tables à échiquier pour des parties de plein air — les jeux sont prêtés par le café voisin.
De retour barrière Saint-Médard, c’est bien sûr un choc. Les voitures, les gaz d’échappement… Mais, sur l’étal roulant d’une fleuriste, des bouquets panachés lancent leurs fusées de couleurs à l’assaut des portières.
De temps à autre, les feux de circulation passent au vert. Tous les véhicules s’ébranlent au même instant, une vraie charge de cavalerie. Sur d’autres sections du boulevard, les feux sont plus distants et les autos prennent de la vitesse.
Quand les voitures s’éloignent, le silence retombe comme une poussière en suspension. D’autres bruits émergent : le ronflement d’une gaine de ventilation ou, comme ici, le bourdon d’une armoire électrique.
Qui lui prête l’oreille, à ce menu fretin sonore, ce chant ténu de la cité ? Peut-être la scénographe et maquettiste Cécile Léna, avec qui j’ai rendez-vous tout près d’ici. Au premier étage d’un bâtiment anonyme, elle m’ouvre son atelier comme un cabinet de curiosités où s’expriment, sur les étagères chargées de collections, les fidèles influences de l’artiste : l’orient, le voyage, le rêve — et la nostalgie d’un siècle plus lent.
La spécialité de Cécile Léna, ce sont des maquettes éclairées et sonorisées, des boîtes qui racontent. Je lui propose d’en créer une sur le thème des boulevards. Comment s’y prendrait-elle ? Elle réfléchit, d’abord hésitante…
… Puis avance quelques idées.
Cécile Léna a raison. Tout ira mieux, une fois passée la muselière aux voitures à essence. D’ici là, il faut ruser pour suivre les boulevards à pied. J’utilise un plan qui m’aide à tracer leur parallèle, par de petites rues calmes.
De haie en jardinet, c’est une sorte de couloir vert que j’emprunte, analogue aux « corridors biologiques » des naturalistes, à ces « trames vertes et bleues » qui véhiculent discrètement les animaux à travers les agglomérations les plus denses.
J’atteins bientôt le parc Rivière, sans avoir quitté le végétal des yeux. C’est un parc intime et ombragé où, à cette heure, ne rôde qu’une poignée de visiteurs.
Des cultures partagées occupent un angle du domaine mais, là non plus, il n’y a pas grand-monde. Il faut dire que le soleil tape dur. Par négligence, un jardinier a laissé les chenilles cribler ses roses.
À la sortie du parc, j’emprunte les mêmes petites rues qui m’y ont conduit. De loin en loin, je reviens aux boulevards, comme on prend des nouvelles d’un ami perdu de vue. Il me semble alors lâcher la corde — ou la liane — de cette « voie verte » que je suis depuis mon départ. Voilà certes un itinéraire qui mériterait d’être balisé par l’office du tourisme : il démontre qu’une jolie promenade est possible, si près d’un boulevard à quatre voies.
Sur le trottoir opposé, côté Bouscat, la ligne verte se transforme : au lieu de modestes floraisons urbaines qui percent le trottoir, ce sont de vrais jardins qui s’étendent désormais à l’arrière des maisons, ou en bordent la façade sur une bande étroite. Plus je m’éloigne, plus les terrains grandissent, jusqu’à atteindre les dimensions d’un stade de football. On se demande comment de telles surfaces ont échappé aux promoteurs.
Potagers et vergers se voient rarement, depuis la rue. Mais des indices en trahissent la présence au marcheur attentif : un parfum de figue mûre flottant dans l’air ; les gouttelettes d’un arrosage automatique qu’on sent pleuvoir sur ses épaules.
Dans ce quartier du Bouscat, c’est jour de ramassage des déchets végétaux. Aux sacs bien garnis qui jonchent les trottoirs, je devine l’importance des terrains derrière les clôtures.
Cependant, des chantiers s’ouvrent un peu partout. Ils rappellent que l’espace, en ville, est un bien convoité.
Tout au long de l’avenue Victor-Hugo, j’assiste à une bataille rangée : d’un côté, les constructions de pierre ou de béton qui siègent là depuis des siècles, ou qui s’élèvent presque à vue d’œil sur les friches urbaines…
… de l’autre, la nature qui verdit la moindre pincée de terre — ses troupes se composent d’herbes increvables, de plantes combattantes qui se redressent sitôt piétinées.
Parfois, c’est un vrai coin de prairie qui est venu, en quelques semaines, sous le regard incrédule du promeneur.
Au bout de l’avenue, une piste poussiéreuse traverse le parc Godard. Je pénètre dans un vrai petit bois, d’où surgissent de hauts immeubles comme les temples aztèques d’une jungle équatoriale.
Sous le couvert des arbres, la ville se tait. Et, de même, paraît se relâcher l’ordre urbain : des poules en liberté vont et viennent autour d’un canapé posé dans l’herbe et les jardins partagés, derrière leurs clôtures en matériaux de récupération, bénéficient d’enjolivements rustiques — ici un banc public, là un panier de basket ou une collection dépareillée d’arrosoirs de cimetières.
Cette voie est une impasse. Mais le train qui passait à proximité a ouvert un large sillon dont la métropole, associée aux villes limitrophes, va faire une piste cyclable. Sur cette « ligne verte », on se promène comme sur une digue, quelques mètres au-dessus de la plaine.
Et c’est un saisissement quand, à l’extrémité bordelaise de cet axe, non loin de la gare aujourd’hui démolie, surviennent des immeubles de verre et d’aluminium. La moderne place Ravezies reçoit les dernières foulées de ce carnet printanier.
Mon regard tombe sur mes chaussures, sur des brins d’herbe fichés dans les boucles des lacets. Vraiment, j’ai marché en ville ?
Lien utile
Le site de Cécile Léna, maquettiste : lenadazy.fr
En savoir plus sur la concertation :
participation.bordeaux-metropole.fr/les-boulevards-exprimez-vous