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L’État et Bordeaux Métropole lancent concomitamment deux appels à…
Premier des quatre carnets de marches conçus par Olivier Bleys, « Les 4 saisons des boulevards - l'hiver » est une commande de Bordeaux Métropole effectuée dans le cadre de la concertation sur les boulevards de la rive gauche de la métropole bordelaise.
« Un carnet de marche, c’est un recueil d’impressions libres sur des hommes et des paysages, par tous les moyens dont dispose le voyageur moderne : l’écriture, mais aussi l’image et le son ; le stylo, mais aussi le micro et l’appareil photo. Promenade attentive et déambulation studieuse, le carnet de marche ne prétend pas livrer l’identité d’un territoire, mais raconter l’instant de sa rencontre — instant précieux, comme sont toujours les premières fois.
Sur les boulevards de la métropole de Bordeaux, le carnettiste ne décrit seulement le présent : il sonde aussi l’avenir. Sa mission est d’observer d’abord, d’imaginer ensuite — tous les sens en éveil. »
Olivier Bleys
Me voici, micro allumé, à remonter le trottoir vers la double voie qui sépare Bordeaux de Talence. La rue que j’emprunte est calme, à l’image de ce quartier bourgeois du sud de l’agglomération. Quelques chants d’oiseaux, provenant des beaux jardins à l’arrière des maisons ; la sirène fuyante d’une ambulance… Des moteurs grondent, au loin.
« J’étale un plan de la métropole. Ma petite maison fait l’angle d’une rue qui mène aux boulevards. C’est là, au seuil de ma petite échoppe, que j’ai choisi de lancer les premiers pas de ce carnet de marche. »
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Soudain, un bruit plus fort fait bondir le vumètre de l’appareil. Au numéro 18, on ravale la façade d’une jolie échoppe fin-de-siècle. C’est un chantier à l’ancienne. Des tailleurs de pierre montés sur un échafaudage jouent du burin et de la massette. D’autres artisans leur répondent à coups de disqueuse, sur un toit voisin. Ils semblent se donner la réplique.
Tout au long de la journée, des travaux m’accompagneront. Ceux, privés, réalisés par des particuliers sur leurs maisons ; ceux, publics, qui éventrent et labourent le macadam.
J’ai l’impression d’une ville où l’on creuse, pave et goudronne sans cesse. Ce chantier perpétuel cause certes des désagréments. Mais il ménage aussi des surprises, et quelques vues insolites : par exemple, un tas de sable au premier plan des immeubles ; un amas de gravats où reluit, intact, un carreau de faïence détaché peut-être du mur d’une cuisine.
D’origine lyonnaise, j’ai aménagé à Bordeaux voici une dizaine d’années, à l’époque où s’achevait la phase intermédiaire du déploiement du tram. Ma première impression de la ville, ç’a été la pierre claire et tendre qui constitue ses bâtiments anciens — ; souvent du calcaire dit « :à astéries », issu des carrières à la confluence de la Gironde et de la Dordogne, « d’un blanc jaune, passablement plein, de couleur égale, sans veine et d’un grain friable quoique gros », comme le décrit un auteur du XVIIIe siècle.
Les nuances de ces pierres me sont devenues familières, qu’elles ornent les façades sculptées des belles bâtisses ou qu’elles s’amassent, déchues, au fond d’une benne municipale.
Sur les boulevards aussi, de belles demeures en pierre de taille apportent leur touche plus ou moins foncée, lisse ou grenue, à la continuité blonde de la ville. À cause de la circulation, hélas, le minéral poreux grise presque à vue d’œil. Longer ces façades, les unes immaculées, les autres noires et charbonneuses, c’est promener son regard sur un clavier de piano.
La métropole médite sur l’avenir de cette grande ceinture urbaine. Glissons cette idée dans la boîte à suggestions : un décapage général, un étrillage en profondeur des maisons de pierre qui bordent les boulevards. Ce serait rendre au patrimoine la lumière qu’il mérite, en éclairant des kilomètres de bâtiments qui, aujourd’hui, passent presque inaperçus.
Ce serait peut-être, aussi, ramener le soleil sur une artère où le temps paraît toujours gris. Tel est le souhait formulé par ma fille adolescente, à qui j’ai tendu le micro avant de partir en promenade.
« Me voici parvenu au boulevard, à égale distance de deux barrières. »
Une section rapide où les véhicules accélérés par le passage d’un tunnel (voie de gauche) sinon ralentis, au contraire, par le long franchissement des voies de tram (voie de droite), prennent de la vitesse. Dans les derniers mètres, on croirait approcher un grand fleuve, un torrent de fonte charriant de gros cailloux. Le bruit enfle jusqu’à saturation.
Des îlots de calme existent pourtant, à la façon des bancs de sable qui se maintiennent au plus fort du courant. La plupart sont discrets et échappent à l’attention du piéton.
Entrez par exemple chez Papiers Crayons, à un jet de gomme de la barrière de Pessac. Tous les parents d’élèves connaissent cette papeterie, fameuse à la fois pour ses réclames géantes, des banderoles de plusieurs mètres lors de fréquentes opérations commerciales, et l’atmosphère désuète, délicieusement vieillotte, des rayons garnis d’articles scolaires. C’est sur un vieux pc trentenaire, à l’écran vert n’affichant que des lettres, que le papetier continue d’enregistrer les achats de ses clients.
Non loin de là, une épicerie fine, la Maison Désiré, possède une arrière-salle lambrissée dans le goût irlandais, qui sert des cafés succulents à de rares amateurs. C’est l’un des secrets les mieux gardés du voisinage.
Certaines villes proposent des itinéraires pédestres, à la découverte des boutiques et des ateliers d’artisans qui font vivre les quartiers. Les boulevards mériteraient, eux aussi, qu’on balise un chemin à pied ou à vélo pour relier les meilleures enseignes. L’occasion d’une promenade gourmande, où l’on garnirait son panier de saumon fumé, de pain gascon, de café fraîchement torréfié…
Dans ce circuit, pourquoi pas ? on pourrait inclure une maison d’édition. Les meilleurs livres n’aiguisent-ils pas l’appétit ? À quelques pas du boulevard George V, dans une échoppe restaurée avec goût, loge un éditeur de livres de voyage : Elytis. Les frères Mouginet, en charge d’un copieux catalogue de près de deux cents titres, m’ont ouvert leur porte un matin de janvier.
Sur les étagères en bois, des globes terrestres de tous formats voisinent avec des beaux livres, des récits d’aventures, des carnets de croquis nomades portant le logo de l’éditeur, une antilope stylisée. Si les publications d’Elytis traitent en majorité de destinations lointaines, certains ouvrages concernent Bordeaux.
Pour Elytis, l’année 2020 verra peut-être l’ouverture d’une troisième librairie dédiée au voyage, après celles inaugurées à Nantes et à Montpellier. Et si elle s’installait sur les boulevards ? Xavier Mouginet franchirait-il le pas ?
« C'est toujours rassurant d'arriver sur les boulevards. »
Nouveau départ, après cette escale exotique sur les terres d’Elytis. La météo radieuse invite à la flânerie. Ma compagne Julie partage ma déambulation dans les rues de la métropole.
Ces trottoirs, je les ai suivis maintes fois, lors de mes marches urbaines. Impossible, désormais, d’y perdre mon chemin. L’hôpital, le stade Chaban-Delmas, le parc Bordelais, la cité administrative… tels sont les amers de cette navigation piétonne — comme disent les marins des repères fixes qui les aident à s’orienter.
En revanche, la ville peut encore m’étonner. Ses mystères se dévoilent au piéton attentif, en récompense de sa lenteur et de sa vigilance. J’ai surpris à Talence un jardin miniature, à Pessac un délicat vitrail au motif chinois, ailleurs de splendides briques bleu turquoise, dignes d’habiller le porche d’un palais sumérien.
Certains quartiers d’allure bourgeoise, peuplés de bâtisses au moins centenaires, semblent immuables. On conçoit mal qu’un plan d’aménagement puisse bousculer ces demi-châteaux, massifs et enracinés dans le sol comme des chênes. Il se trouve aussi des bâtiments remarquables, tel le Ciné-Théâtre girondin, des espaces réservés comme le cimetière ou la cité étudiante Budos, qu’on n’imagine pas déplacés ailleurs.
Le profil d’autres quartiers est différent, plus instable. Des clôtures entourent des friches, colonisées par l’herbe hésitante. C’est là, sur d’anciens terrains militaires ou industriels, dans des bâtiments à l’abandon, que s’inscrit peut-être l’avenir des boulevards.
Par exemple, dans le triangle défini par les rues Danguilhem et Baulieu, zone sans affectation qui logea naguère un parking et une supérette, fermée faute de clientèle. Une curieuse arche de béton enjambe la place. Que pourrait-on installer là ?
« Une boutique de location et de réparation de vélos, près d’une piste cyclable ? »
Une ferme en ville, dédiée au maraîchage ? Une exploitation apicole entourée de ses ruches, sur l’ancienne aire de stationnement ? Ou pourquoi pas une « maison de la randonnée urbaine », dont je ne connais l’équivalent nulle part ?
J’ai une autre idée : un musée de quartier, ouvert aux créations des artistes locaux. Que remarque-t-on, en effet, en suivant les boulevards à pied ? Des peintures, des sculptures, des objets d’art ou de décoration que les riverains disposent sur le rebord de leurs fenêtres, dans l’espace ménagé par le triple vitrage. Les croisées se convertissent ainsi en vitrines d’exposition. Lorsqu’on les longe, sur plusieurs kilomètres, on croirait visiter une galerie de plein air.
Peut-être s’écrit-il ainsi, l’avenir des boulevards. Avec la complicité des habitants, à travers de petits gestes — ici un potager communautaire, là un composteur de quartier.
C’est l’impression qui m’est restée d’une balade urbaine, organisée par la métropole sur cette section des boulevards. J’ai mêlé mes derniers pas à cette marche collective, ponctuée d’arrêts pour commenter les chantiers en cours mais, surtout, imaginer ceux à venir. Tandis que nous arpentions le quartier, les participants formulaient leurs idées, sages d’abord, puis plus hardies.
J’ai quitté le groupe à l’heure où les rayons obliques du soleil orangeaient la façade de la cité Budos. Assis dans un café, barrière Saint-Genès, j’ai repassé les photos prises depuis le matin. Mon pouce balayant l’écran faisait défiler des maisons, des jardins, des silhouettes en marche dans les rues.
Entre tous ces aspects des boulevards semblait tissé un lien ; sur tous ces décors semblait régner une même lumière, tiède et colorée malgré l’hiver : celle, non pas tombée du ciel mais diffusée par les bâtiments, que rayonnait la pierre de Bordeaux.
Les éditions Elytis :
www.librairieduvoyageur.com/editeur/elytis
La librairie Papiers-Crayons :
www.papierscrayons.fr/papierscrayonssa/24coursgallieni.php
La Maison Désiré :
En savoir plus sur la concertation :
participation.bordeaux-metropole.fr/les-boulevards-exprimez-vous