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À compter du 25 novembre 2024, des évolutions de fréquence et de…
À Mérignac, Daniel Dewar et Grégory Gicquel réinterprètent les codes et les matériaux de la statuaire classique, en empruntant un vocabulaire artistique résolument contemporain et décalé.
Le duo définit cette œuvre de la façon suivante :
« Une sculpture aux formes de membres inférieurs d’un personnage, habillés d’un pantalon de jogging et de mocassins à pampilles. Les mocassins sont taillés dans une pierre de marbre du Minervois de couleur rouge/ocre avec une finition polie. Le pantalon de jogging est taillé dans un bloc de granit gris des Côtes d’Armor.
Les sujets sont traités sans expression. Ils sont représentés à échelle 4/1. La sculpture est montée sur un socle en granit noir de Lanhelin. Elle mesure quatre mètres de hauteur et repose sur un socle de 90 cm environ.
Le choix de chaque matériau agit au service du sujet qu’il représente. Par analogie visuelle, le marbre poli prend l’aspect d’un cuir ciré alors que le granit prend celui d’un tissu en jersey de couleur gris chiné.
Le pantalon de jogging et les mocassins à pampilles sont tous deux des icônes vestimentaires qui, en traversant les époques et leurs nombreux revivals, ont servi à autant de cultes identitaires, avec à tour de rôle des moments de gloire comme de dépréciation.
L’espace public est aussi celui de la mode.
À l’image de la mode, ou par un effet de miroir de ses évolutions rapides - dont on peut constater, en ville principalement, les différentes manifestations - la sculpture rassemble de manière impromptue deux éléments vestimentaires d’un style contradictoire, mais qui sont cependant reconnaissables par tous. Comme dans le dessin d’une tendance, la sculpture évoque la complexité d’un style urbain contemporain et prend la forme d’un monument de l’instant présent. »
Daniel Dewar, né en 1976 au Royaume-Uni et Grégory Gicquel, né en 1975 à Saint-Brieuc, travaillent en duo depuis leur rencontre à l’École des Beaux Arts de Rennes, où ils obtiennent leur diplôme en 2000.
Les deux artistes s’intéressent à la beauté que peuvent produire les rencontres inédites de sujets et de matériaux. Si les images qu’ils utilisent proviennent de la culture populaire et paraissent peut-être ordinaires, ils savent en révéler tout le potentiel de puissance. Ils s’amusent à mixer les styles, les époques, et à revisiter les techniques, de la sculpture sur bois à la taille de la pierre, sans oublier la céramique, la tapisserie ou encore le modelage sur glaise. Les œuvres qui résultent de ces hybridations sont de puissants concentrés de références où l’humour est souvent présent.
Ils sont les lauréats en 2012 du Prix Marcel Duchamp, qui consacre ainsi pour la première fois une production artistique en duo. Leurs travaux ont été présentés depuis dans de nombreuses expositions personnelles, notamment en France au Centre Pompidou et au Palais de Tokyo à Paris en 2013, au Musée Rodin à Paris en 2014, ou encore à la HAB Galerie à Nantes en 2017.
Dewar et Gicquel à Mérignac
L'art populaire gravé dans le marbre
Paul Ardenne
Littéralement
Plutôt peu conventionnelle, en tout cas inattendue, la sculpture plantée là par Dewar & Gicquel adopte vue de loin la forme emblématique d’une colonne montée sur socle. D’environ quatre mètres de hauteur, cette forme verticale représente des mocassins à pampilles surmontés d’un pantalon de jogging.
Pantalon de jogging et mocassins à pampilles (le titre de cette proposition plastique, justement, pour le moins littéral) s’inscrit dans une tradition aujourd’hui quasi disparue, et très en vogue au XIXe siècle, celle de la sculpture minérale polychrome. Trois matériaux, de nature et de couleur différentes, ici, se superposent : granit noir de Lanhelin pour le socle, marbre du Minervois rouge veiné de blanc pour les mocassins, granit gris des Côtes-d’Armor pour le pantalon. Optiquement dynamique, cette superposition acquiert une consonance réaliste : socle aux airs de bitume ; couleur raffinée, élégante et stylée, des mocassins posés sur celui-ci ; effet textile du noir veiné du pantalon.
Si cette proposition, d’office, intrigue, c’est qu'elle donne l’impression du non finito, de l’œuvre inachevée, que ses auteurs auraient comme laissée en plan. Le manque d’une « figure », d’un portrait d’homme, de « quelqu’un » venant surplomber l’ensemble sculpté est patent. Comme l’équivalent d’une colonne tronquée, de celles que l’on trouve dans les cimetières, y évoquant la mort et le destin brisé en pleine course, la référence morbide et destinale serait, elle, ici absolument déplacée. Pantalon de jogging et mocassins à pampilles, plutôt, est l’occasion de lier deux esthétiques qui se contredisent le plus clair du temps dans le monde réel, celui de notre quotidien le plus terrestre et immédiat. L’esthétique vestimentaire bourgeoise, que viennent rappeler ici les mocassins ; l’esthétique vestimentaire populaire, qui affectionne le port du jogging. Une œuvre républicaine, qui exalterait en filigrane un appel au lien social ?
Une poétique de l'effort
Le laconisme est un trait caractéristique du travail artistique de Dewar & Gicquel : pas d’explication, juste générer un travail et produire une forme. Il est vain d’attendre des artistes, à cet égard, une explication, et encore moins une justification. L’aspect social consigné à l’instant, à la rigueur, peut être convoqué, renseignement pris auprès des principaux intéressés. Les deux artistes, dans un parc de Saint-Cyprien, petite ville de la bordure méditerranéenne, n’ont-ils pas déposé déjà des mocassins de marbre ? Ceux-ci, de proche en proche, peuvent faire songer à la promenade bourgeoise, sinon rousseauiste, et au détour hygiéniste, sentimental ou écologique que font en traversant le parc municipal le médecin ou le magistrat locaux, pour profiter de la nature. Aucune certitude cependant.
Daniel Dewar (né en 1976 à Forest Dean, Royaume-Uni) et Grégory Gicquel (né en 1975 à Saint-Brieuc) se sont rencontrés aux Beaux-Arts de Rennes en 1997. Ils travaillent ensemble depuis 2004 à présent, toujours dans le même esprit : acquérir un savoir-faire, se faire plaisir en maîtrisant des formes et des matériaux non d’abord prévisibles ou aisés à manipuler, travailler ou exposer. Cette approche à la fois tactile, distanciée et humoristique, très second degré en fait, de la sculpture voit cette dernière abordée, n’ayons pas peur de la formule, sous l’angle d’un artisanat rédempteur. Le grand geste fait le grand artiste, l’œuvre d’art serait-elle faible, décevante ou pas tout à fait dans le coup en termes de signification, de métaphorisation, de symbolisation.
Comme le disent les artistes, en fait, il s’agit moins pour eux de réfléchir, de raffiner, de chercher à conceptualiser que d’« agir ». La création est pour eux, d’abord, un acte, un geste. Un effort. De là, comme pour Mérignac, le recours à des matériaux durs dans tous les sens du terme : durs à travailler, durs à modeler, voire durs à imposer (le marbre, le granit ne sont plus des matériaux à la mode). Cet effort, il peut être athlétique, surhumain. Il peut exiger de celui qui l’exécute un véritable investissement physique. Le choix assumé du granit ou du marbre, celui, encore, de sculpter ces roches primaires ou métamorphiques à la main dont fait preuve Pantalon de jogging et mocassins à pampilles est un indice, en fait, productiviste. Une extrême quantité de gestes dilapidateurs d’énergie a été requise pour réaliser cette œuvre, et c’est bien là ce qui importe, à parts égales avec la question du sens de l’œuvre proprement dite, voire plus que celle-ci.
Populaire et sophistiqué
Pantalon de jogging et mocassins à pampilles se range mal aisément dans une catégorie artistique bien définie. C’est une sculpture, soit. Plutôt classique en conception, soit. Mais quel est exactement son intention ? À quelle fin existe-t-elle ? Assurément, elle n’est pas plus joyeuse qu’elle ne nous portera à désespérer du monde. Elle ne nous fascine pas plus qu’elle ne nous révulse. Elle est là, du moins. L’objet comme formule première d’interposition entre le regard et le paysage urbain.
La source d’inspiration de Dewar et Gicquel est l’esthétique populaire, que ces deux compères retraitent selon le principe du « fait main », leur signature : un véritable artisanat inspiré et un éloge à la pratique, au « faire ». Une robe de chambre, une automobile grandeur nature, des lavabos, des formes ornementales kitsch… vont être, par eux, repris en charge et ouvragés avec soin. La terre, matériau pauvre, a longtemps eu la préférence des artistes, avant qu’ils ne diversifient pas à pas leur palette matiériste. Le traitement est à la fois sérieux et facétieux, en une sorte d’hommage ambigu à l’objet. La perspective de Dewar et Gicquel n’est pas d’abord cette « transfiguration du banal » warholienne prompte à mettre de la sacralité dans les objets du quotidien mais, plutôt, de vivre l’art comme on vit son temps d’active – incarner des gestes, une compétence, définitivement. Jamais de délégation du travail, Dewar et Gicquel sont de patientes petites mains, des tâcherons œuvrant dans cette veine dite de la « refabrication » qui a connu un succès certain depuis quinze ans avec des artistes tels que Simon Starling, Steven Pippin ou encore Conrad Bakker. Ceci, en n’omettant jamais l’humour qui exsude de cette production, à mi-chemin entre le cours du soir pour non-initiés et la production conceptuelle censée « faire sens » et relancer la réflexion sur le médium.
Compétence, assujettissement à des formes d’art requérant un travail manuel, incongruité des thèmes : dans l’Espace 315 du Centre Pompidou de Paris, qu’ils rebaptisent « Le Hall », Dewar et Gicquel présentaient ainsi l’automne passé trois pièces monumentales cumulant ces différentes caractéristiques¹. La première était la sculpture d’un puissant Bodybuilder en bois de chêne. Son allure, de loin, peut évoquer certaines figurines de BD ou du cinéma. La référence, cependant, est celle, classique, du corps musculeux, un corps fait de cette matière charnelle que les artistes vont rechercher à restituer avec les moyens propres de la sculpture, c’est-à-dire un geste, un matériau et une mise en forme : « Cette figure cherche à entretenir un rapport mimétique avec le matériau, entre le muscle et les veines du bois, entre la couleur du bois et celle de la peau », disent-ils. Les deux autres pièces déployées dans l’espace, autrement spectaculaires, fleuraient quant à elles la démesure, une démesure pas loin d’être absurde si l’on rapporte celle-ci au sujet traité par les artistes. Le chien, la robe de chambre, les chaussures et la langouste, d’abord, adoptait la forme d’une gigantesque tapisserie offrant à nos yeux mouillés d’admiration mais aussi de perplexité un chien, une robe de chambre, une paire de baskets et une langouste.
¹ « Daniel Dewar et Grégory Gicquel », Centre Pompidou Paris, Paris, Espace 315, 25 septembre 2013 / 6 janvier 2014.
L’art est ouvert, les jeux de la forme et de la pensée aussi !
Rébus ? Inventaire à la Prévert ? Célébration du « GNIQ », le Grand N’Importe Quoi ? Chacun y trouvera son compte, un lien avec le récit personnel de sa vie ou de ses obsessions, ou pas. Une identique perplexité a pu saisir encore l’âme et le regard, toujours au Centre Pompidou de Paris, lors de la même exposition, face à cette fresque immense intitulée La Rivière Amstel. Un projet, cette fois, de fresque en faïence émaillée pour la station de métro Rokin, à Amsterdam.
Pantalon de jogging et mocassins à pampilles, par sa nature à la fois évidente (sa masse, sa présence physique) et sibylline (son sens qui échappe) plaide pour une conception de l’art ouverte, jamais ennemie de la liberté d’interprétation, bonne joueuse aussi. Que l’on regarde, que l’on jouisse de ce que l’on regarde, même pour s’amuser, sans trop de souci de célébration, et c’est déjà bien assez. Pour le reste, convenons-en, les voies de l’art, comme celle du Seigneur, sont impénétrables. À qui profite ici le crime, en l’occurrence la célébration des vertus du décalage, de la disproportion et du sublime inversé ? Pas de réponse, pour l’heure. C’est bien connu : l’ennuyeux, c’est encore une fois de tout dire.
Universitaire (Faculté des Arts, Amiens), écrivain, collaborateur, entre autres, des revues Art press et Archistorm, Paul Ardenne est l’auteur de plusieurs ouvrages ayant trait à l’esthétique actuelle : Art, l’âge contemporain (1997), L’Art dans son moment politique (2000), L’Image Corps (2001), Un Art contextuel (2002), Portraiturés (2003), Extrême - Esthétiques de la limite dépassée (2006), Art, le présent. La création plastique au tournant du 21ème siècle (2009), Cent artistes du Street Art (2011). Il est encore commissaire d’expositions (Printemps de Septembre à Toulouse 2012) et romancier (La Halte, Nouvel Âge, Sans visage...).